“L’écrivain signe aujourd’hui son plus beau roman, un hymne à la liberté.”

Le journaliste et auteur turc Ahmet Altan, à Edimbourg, en 2015. GUILLEM LOPEZ/UPPA/PHOTOSHOT/AURIMAGES

Marc Semo, Le Monde, 09.09.2021

Ecrit pour l’essentiel pendant ses cinq années de détention dans la prison de haute sécurité de Silivri, à l’ouest d’Istanbul, le nouveau roman d’Ahmet Altan, Madame Hayat, est une magnifique histoire d’amour, mais pas seulement. A l’occasion de cette parution, nous avons interviewé (par courriel) l’écrivain et journaliste, toujours dans l’attente d’un nouveau procès après que sa condamnation à dix ans de prison a été annulée en cassation (il était accusé d’avoir soutenu le coup d’Etat militaire manqué de juillet 2016). Il revient ici sur ce roman flamboyant, sur son expérience de la prison et sur ce que signifie être un écrivain au temps de l’arbitraire.

Vous évoquez volontiers « le paradoxe de l’écrivain », toujours libre, même derrière les barreaux, par la force de son imagination. « Madame Hayat », votre nouveau roman, en est-il une preuve ?

Il existe, dans la vie, des formes d’impuissance physique irréductibles. La prison en est une. On vous met dans une cellule et on referme la porte. On vous jette hors de la vie. Vous en êtes exclu, mais en plus humilié par des gens sans foi ni loi qui vous disent : « Tu n’es rien, on peut te faire ce qu’on veut. » Physiquement parlant, vous ne pouvez pas répondre à ce rejet en dehors de la vie, à l’éloignement des êtres chers, au fait concret et à l’humiliation morale d’être enfermé dans une cage comme un animal. Vous êtes prisonnier de l’impuissance. Néanmoins je crois que l’impuissance n’est jamais totale, même dans les pires conditions. Nous avons ce pouvoir d’imaginer qui résiste aux souillures, aux restrictions, à l’enfermement. Pouvoir peut-être plus développé chez les écrivains. Après tout, transformer la chose imaginée, inexistante, en chose réelle, existante, c’est leur travail. C’est une sorte de schizophrénie. Voilà ce qui vous sauve, en prison. Pendant presque cinq ans, j’ai vécu par l’imagination en ignorant la réalité carcérale qu’on m’imposait. Dès que j’en avais envie, je m’imaginais hors de prison. Dès que j’en avais envie, par l’imagination encore, j’invitais les êtres de mon choix à me rejoindre en prison. C’est ce qui m’a permis à la fois de résister à la prison et d’en sortir avec trois livres, tous imaginés depuis ma cellule.

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