—
Ahmet Altan est un journaliste et romancier turc réputé de 67 ans. Adresse actuelle : prison de Silivri, Istanbul. Je suis, depuis quelques jours, le «parrain» d’Ahmet Altan, bien qu’il n’ait pas réellement besoin d’un parrain, et encore moins besoin de qui que ce soit pour le défendre, il fait très bien ça lui-même…
Mais en m’engageant à rester «vigilant» sur le sort que lui réservent les autorités turques, ce «parrainage» envoie un signal sans équivoque : le reste du monde n’est pas indifférent au sort des 166 journalistes détenus, et au-delà des dizaines de milliers de Turcs de toutes origines, emprisonnés depuis la tentative de coup d’Etat manquée du 15 juillet 2016, confrontés à la machine à broyer toute opposition qui a remplacé l’Etat de droit en Turquie.
L’histoire d’Ahmet Altan serait jugée non crédible dans un roman ou dans un film, sauf peut-être ceux de Costa-Gavras (Z,l’Aveu). Ce vétéran de la presse turque, déjà inquiété par le passé pour avoir, entre autres «crimes», reconnu la réalité du génocide arménien, est poursuivi pour avoir fait passer des «messages subliminaux» lors d’interventions télévisées à la veille de la tentative de coup d’Etat. De ce fait, il est donc accusé de tentative de renversement du Parlement et du gouvernement et est passible de trois peines de prison à vie, incompressibles.
Ce romancier traduit dans 17 langues (publié en France par Actes Sud – Madame la ministre de la Culture, ex-patronne d’Actes Sud, ne l’oubliez pas…)a été arrêté le 23 septembre 2016, et attend toujours son procès. Il a comparu une première fois en juin et a pu lire un mémorandum qu’il avait rédigé en détention, intitulé, comme dans un roman : «Portrait d’une accusation en forme de pornographie judiciaire»… Il y démolit méthodiquement les charges qui pèsent contre lui et estime que si autant de mensonges ont été alignés dans son dossier, il doit en être de même pour les milliers d’autres pris dans la folie répressive de l’après-15 juillet.
Avec humour, il relève qu’on l’accuse d’avoir écrit «sur ordre» des articles critiquant l’AKP, le parti du président Erdogan : «Ce qui me met en colère, c’est que le procureur affirme que je critique l’AKP parce que “quelqu’un” m’a ordonné de le faire. Il devrait avoir honte de dire pareille chose. J’écris des éditoriaux dans ce pays depuis trente-cinq ans. Ma ligne politique n’a pas dévié d’un millimètre. Je soutiens tous ceux qui réclament la démocratie et l’Etat de droit, et je critique tous ceux qui s’opposent à la démocratie et à l’Etat de droit. Il aurait dû lire ce que j’écrivais il y a dix, vingt ou trente ans avant d’émettre une pareille ineptie dans son acte d’accusation. Il aurait dû lire ce que cet homme qu’il veut envoyer en prison pour le reste de sa vie a écrit durant toute sa vie.»
En 2014, Ahmet Altan répondait à la question «qu’est-ce que le journalisme» par ces mots : «Il y a dans ce métier 99 % de gens lâches et méprisables et 1 % de personnes intègres et courageuses. Et ce 1 % joue un rôle énorme dans la transformation du monde et la transformation de nos vies.»
Voilà le type d’homme qu’est Ahmet Altan, qui risque de passer le reste de ses jours en prison pour des «messages subliminaux», sans avoir eu droit à un procès équitable.
Nous sommes une douzaine de Français à avoir accepté de parrainer des journalistes et auteurs turcs emprisonnés, dans le cadre d’une initiative prise en France par la Société civile des auteurs multimédia (Scam) et le prix Albert-Londres, affirmant : «Le journalisme n’est pas un délit.»
Laurent Joffrin, le directeur de Libération, parraine pour sa part le frère d’Ahmet Altan, Mehmet Altan, professeur d’économie à l’université d’Istanbul et commentateur politique. Serge July, fondateur de Libération, suit le sort de Kadri Gürsel, un journaliste très respecté en Turquie, éditorialiste au quotidien Cumhuriyet dont tant de journalistes sont eux aussi détenus ou exilés. Autre journaliste de Cumhuriyet, Turhan Günay, 71 ans, responsable du supplément littéraire, arrêté chez lui à l’aube un jour d’octobre 2016, est parrainé, comme il se doit, par Bernard Pivot. Elise Lucet, pour sa part, s’intéresse au sort d’Aysenur Parildak, étudiante en droit de 26 ans et journaliste en herbe, accusée d’être membre d’une «organisation terroriste».
Ahmet Altan figure aussi sur la liste des journalistes dont Reporters sans frontières et le Monde ont demandé la libération dans un appel commun adressé à la Turquie, devenue «la plus grande prison pour journalistes du monde» : nous devons être à leurs côtés.